vendredi 4 décembre 2009

"Je veux voir"

[Ciné-conférence avec Joana Hadjithomas et Khalil Joreige]


« Juillet 2006. Une guerre éclate au Liban. Une nouvelle guerre mais pas une de plus, une guerre qui vient briser les espoirs de paix et l'élan de notre génération.  Nous ne savons plus quoi écrire, quelles histoires raconter, quelles images montrer. Nous nous demandons : " Que peut le cinéma ? " Cette question, nous décidons de la poser vraiment. Nous partons à Beyrouth avec une " icône ", une comédienne qui représente pour nous le cinéma, Catherine Deneuve. Elle va rencontrer notre acteur fétiche, Rabih Mroué.  Ensemble, ils parcourent les régions touchées par le conflit. À travers leurs présences, leur rencontre, nous espérons retrouver une beauté que nos yeux ne parviennent plus à voir.  Une aventure imprévisible, inattendue commence alors... » JH-KJ


Joana Hadjithomas et Khalil Joreige, artistes et cinéastes libanais, se sont retrouvés bloqués à Paris lorsque la guerre a éclaté au Liban en juillet 2006. Demeurant des spectateurs impuissants, observant la situation à travers le portrait que pouvaient en faire les médias, ils ont été amenés à repenser leur travail en cours. Comment pouvaient-ils, eux, filmer le Liban ? Et que pouvait réellement le cinéma dans cette cause ? Reconstruire une nouvelle image, réconcilier, sensibiliser, informer ?

« Beyrouth n’existe pas. C’est un fantasme dans une pensée. Comment peut-on arriver à le montrer ? Et surtout, où est-ce qu’on se place face à la douleur des autres ? » interroge Khalil Jorige avant la projection du film, en réfléchissant au pouvoir de l’image et en évoquant bien sûr le travail de Godard. Le produit final se lit sans doute comme du cinéma politique, mais les réalisateurs insistent sur le fait qu’il s'agit d'abord pour eux de faire politiquement du cinéma.

C’est dans une articulation habile entre documentaire et fiction, qui questionne à la fois la mémoire historique et cinématographique, que se construit le paysage du film. Je veux voir nous entraine ainsi aux côtés de Catherine Deneuve « l’icône du cinéma », mais aussi Catherine Deneuve « la personne ». Car les personnages y jouent leur propre rôle, mais en interprétant tout de même une fiction mise en scène par les réalisateurs.

Tout le dispositif de création du film repose sur la fragilité, voire la précarité : un scénario ouvert, pas complètement écrit, auquel les acteurs n’ont préalablement pas accès. Une incertitude sur la durée et les possibilités de tournage. Des moyens économiques tout simplement absents. Le film découle essentiellement de l’enthousiasme de Catherine Deneuve envers le projet. C’est donc sur la volonté de l’actrice de découvrir le Liban, une fois de plus stoppé dans son élan de reconstruction, que s’ouvre Je veux voir. La star de cinéma s’installe à bord d’une voiture conduite par le comédien libanais Rabih Mroué, et débute alors une sorte de « road-movie » à travers le pays désolé.

Peu à peu, l’équipe s’éloigne de Beyrouth, traverse un territoire où on leur interdit de filmer. À moins que ce soit le scénario qui prévoyait cette interdiction ? Impossible de savoir, mais le résultat demeure le même, questionnant les frontières entre réalité et fiction. Même chose lorsqu’un avion passe en émettant un puissant fracas, comme si une bombe venait d’exploser. Catherine Deneuve sursaute, son visage trahit la peur. Mais peur importe si c’est Catherine Deneuve ou son personnage qui sursaute, la peur traverse l’écran, nous atteint. « L’important n’est pas de savoir ce qui est vrai ou non, mais bien que le résultat crée du vrai », de renchérir Joreige.

Je veux voir ne cherche jamais à expliquer ou défendre quoi que ce soit, nous permettant simplement d’assister à la désolation à travers la beauté et vice versa, de participer à ce contraste d’une violence inouïe, mais qui arrive tout de même à apparaître à l’écran de façon sensible et magnifique. Comme si l’image dont avait besoin le Liban était réellement à la jonction entre le documentaire et la fiction, réunis le temps d’un film.

À la fin de la projection, une voix timide se fait entendre, demande aux réalisateurs la pertinence de travailler en collectif. La réponse de Joreige : « Quand on est seul, on peut toujours se mentir à soi-même; à deux, c’est plus compliqué. »

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